
THE SHAMELESS // présenté par Amandine d’Azevedo Maître de conférencespécialiste du cinéma indien.
lundi 19 mai 20:30
Utopia Montpellier - Sainte Bernadette
5 avenue du Dr Pezet, 34090 Montpellier, France
5 Avenue du Docteur Pezet, 34090 Montpellier - Montpellier
5 Avenue du Docteur Pezet, 34090 Montpellier - Montpellier
La séance du lundi 19 mai à 20h30 sera suivie d’une discussion animée par Amandine d’Azevedo, Maître de conférence à l’Université Paul Valery, spécialiste du cinéma indien
THE SHAMELESS
Écrit et réalisé par Konstantin BOJANOV - Inde / Bulgarie 2024 1h55mn VOSTF - avec Anasuya Sengupta, Omara, Rohit Kokate, Auroshikha Dey, Mita Vashisht...
Décidément, le festival de Cannes 2024 nous a offert de belles pépites du cinéma indépendant indien avec notamment le bouleversant All we imagine as light de Payal Kapadia, ou encore Santosh de Sandhya Suri, les deux films nous proposant de magnifiques portraits de femmes qui tentent, tant bien que mal, de se libérer du poids des traditions, dans une société en transition. The Shameless, étonnamment réalisé par un artiste/cinéaste bulgare qui s’est totalement immergé dans la culture hindie, prend haut la main la relève.
En pleine nuit, Nadira s’échappe d’un bordel de G B Road, célèbre quartier chaud de Delhi, après avoir poignardé à mort un policier abusif. Elle prend l’argent et quitte les lieux sans se retourner, s’engouffrant dans un bus qui l’amènera à Chatrapur, au sud du pays. Là, elle prend le nom de Renuka et trouve refuge dans une communauté de travailleuses du sexe Devadasi. Peu à peu, elle va se lier avec Devika, une jeune voisine de dix-sept ans aussi docile, fragile, et timide que Renuka nous apparaît rageuse, coriace, et rebelle, brisant par sa seule conduite tous les carcans dans lesquels peuvent être pris les femmes de la petite ville.
The Shameless a d’abord été pensé comme un documentaire en quatre volets, s’inspirant du livre de William Dalrymple Les Neuf vies à la recherche du sacré dans l’Inde d’aujourd’hui (2010). Konstantin Bojanov souhaitait y explorer des thématiques telles que l’amour, la sexualité, le libre arbitre et l’expression artistique dans la limite des castes et des croyances religieuses de l’Inde actuelle. Et puis, devant les difficultés à réaliser ce projet, il a décidé d’en faire une fiction et de partir le tourner au Népal. Le scénario de The Shameless s’inspire de l’un des récits biographiques du livre, celui de Reshma, travailleuse du sexe Devadasi, qui a donné les bases du personnage de Devika.
Portés par deux superbes interprètes, les deux personnages du film tentent chacune à leur manière de résister dans un monde où la place de la femme est à peu près celle d’un objet négociable. La famille de Devika est essentiellement constituée de femmes, des prêtresses Devadasi que les habitantes de la ville viennent consulter pour résoudre leurs difficultés ou apaiser leurs angoisses, et à qui l’on fait des offrandes de valeur, leur donnant ainsi un certain rang social. Puis progressivement, le voile se lève sur l’envers des pratiques rituelles de ces femmes dévouées à des divinités ou des temples, et l’on découvre la mère de Devika négociant la première nuit de sa fille au plus offrant, ou encore envoyant son autre fille dans le quartier de G B Road vu au début du film : elle ne fait au fond que reproduire ce qu’elle a subi, sans jamais questionner cette institution religieuse séculaire et oppressive, pourtant interdite depuis les années 1980. À l’opposé, Nadira – qui emprunte son pseudo à la déesse Ranuka que ces Devadasi vénèrent – semble en constante rébellion envers cette même institution. Et pourtant, cette fille sans attaches, aux allures brusques et presque rebutantes, va, sous l’influence de la douce Devika, se laisser progressivement apprivoiser, voir même s’attacher ! Et les deux femmes, au contact l’une de l’autre, vont peu à peu s’émanciper.
The Shameless, qu’on peut traduire par Celles qui n’ont pas honte, porte en lui cette question centrale de la honte de soi, comme reflet de l’évolution d’une société qui, sous couvert de bienséance puis de réforme sociale, a dégradé progressivement le statut social de ces Devadasi, les faisant passer de courtisanes sacrées, hautement considérées, à de simples travailleuses du sexe, appartenant désormais aux couches sociales les plus pauvres. Et plus généralement, le film affronte la question de la honte portée par la femme dans une société patriarcale grandement codifiée, et envisage les voies possibles de son affranchissement.
THE SHAMELESS
Écrit et réalisé par Konstantin BOJANOV - Inde / Bulgarie 2024 1h55mn VOSTF - avec Anasuya Sengupta, Omara, Rohit Kokate, Auroshikha Dey, Mita Vashisht...
Décidément, le festival de Cannes 2024 nous a offert de belles pépites du cinéma indépendant indien avec notamment le bouleversant All we imagine as light de Payal Kapadia, ou encore Santosh de Sandhya Suri, les deux films nous proposant de magnifiques portraits de femmes qui tentent, tant bien que mal, de se libérer du poids des traditions, dans une société en transition. The Shameless, étonnamment réalisé par un artiste/cinéaste bulgare qui s’est totalement immergé dans la culture hindie, prend haut la main la relève.
En pleine nuit, Nadira s’échappe d’un bordel de G B Road, célèbre quartier chaud de Delhi, après avoir poignardé à mort un policier abusif. Elle prend l’argent et quitte les lieux sans se retourner, s’engouffrant dans un bus qui l’amènera à Chatrapur, au sud du pays. Là, elle prend le nom de Renuka et trouve refuge dans une communauté de travailleuses du sexe Devadasi. Peu à peu, elle va se lier avec Devika, une jeune voisine de dix-sept ans aussi docile, fragile, et timide que Renuka nous apparaît rageuse, coriace, et rebelle, brisant par sa seule conduite tous les carcans dans lesquels peuvent être pris les femmes de la petite ville.
The Shameless a d’abord été pensé comme un documentaire en quatre volets, s’inspirant du livre de William Dalrymple Les Neuf vies à la recherche du sacré dans l’Inde d’aujourd’hui (2010). Konstantin Bojanov souhaitait y explorer des thématiques telles que l’amour, la sexualité, le libre arbitre et l’expression artistique dans la limite des castes et des croyances religieuses de l’Inde actuelle. Et puis, devant les difficultés à réaliser ce projet, il a décidé d’en faire une fiction et de partir le tourner au Népal. Le scénario de The Shameless s’inspire de l’un des récits biographiques du livre, celui de Reshma, travailleuse du sexe Devadasi, qui a donné les bases du personnage de Devika.
Portés par deux superbes interprètes, les deux personnages du film tentent chacune à leur manière de résister dans un monde où la place de la femme est à peu près celle d’un objet négociable. La famille de Devika est essentiellement constituée de femmes, des prêtresses Devadasi que les habitantes de la ville viennent consulter pour résoudre leurs difficultés ou apaiser leurs angoisses, et à qui l’on fait des offrandes de valeur, leur donnant ainsi un certain rang social. Puis progressivement, le voile se lève sur l’envers des pratiques rituelles de ces femmes dévouées à des divinités ou des temples, et l’on découvre la mère de Devika négociant la première nuit de sa fille au plus offrant, ou encore envoyant son autre fille dans le quartier de G B Road vu au début du film : elle ne fait au fond que reproduire ce qu’elle a subi, sans jamais questionner cette institution religieuse séculaire et oppressive, pourtant interdite depuis les années 1980. À l’opposé, Nadira – qui emprunte son pseudo à la déesse Ranuka que ces Devadasi vénèrent – semble en constante rébellion envers cette même institution. Et pourtant, cette fille sans attaches, aux allures brusques et presque rebutantes, va, sous l’influence de la douce Devika, se laisser progressivement apprivoiser, voir même s’attacher ! Et les deux femmes, au contact l’une de l’autre, vont peu à peu s’émanciper.
The Shameless, qu’on peut traduire par Celles qui n’ont pas honte, porte en lui cette question centrale de la honte de soi, comme reflet de l’évolution d’une société qui, sous couvert de bienséance puis de réforme sociale, a dégradé progressivement le statut social de ces Devadasi, les faisant passer de courtisanes sacrées, hautement considérées, à de simples travailleuses du sexe, appartenant désormais aux couches sociales les plus pauvres. Et plus généralement, le film affronte la question de la honte portée par la femme dans une société patriarcale grandement codifiée, et envisage les voies possibles de son affranchissement.